Vayetse 5781

 

« Léa dit : D. m’a donné ma récompense [Se’HaRi] parce que j’ai donné ma servante à mon mari. Elle appela son nom YiSSa’HaR»

Berechit (30,18)

Le début de la Paracha Vayetse présente le départ de Yaaqov de Beer Sheva vers ‘Haran. Il fuit Esaw, et suit le conseil de ses parents : aller chez Lavan, le frère de sa mère, (à ‘Haran) afin d’épouser une de ses filles. Rappelons que Yaaqov voulait épouser Ra’hel, mais par la tromperie de Lavan, il se maria d’abord avec l’aînée : Léa. Chez Lavan naîtront les enfants de Yaaqov, les tribus d’Israel (sauf Binyamin).

Léa aura rapidement des enfants, quatre dans un premier temps. Ra’hel est longtemps stérile. Elle n’a pas la joie de donner des enfants rapidement à son mari.
Imaginons la douleur de celle qui était censée être la seule femme de Yaaqov ! La douleur de celle qui n’a pas fait honte à sa soeur Léa, lorsque Lavan l’a mise dans les bras de Yaaqov !
Et maintenant, les enfants, les futurs tribus du peuple d’Israel, ce n’est pas elle qui les enfante !

Un jour, Ra’hel voit Reuven, le premier fils de Yaaqov et Léa, qui revient des champs. Il a des fleurs dans les mains … du jasmin nous dit Rashi. Reuven rapporte les fleurs pour Léa, sa maman. Ra’hel n’a jamais ce bonheur. Ra’hel demande à Léa de lui donner les fleurs cueillies. Ces “Doudayim” = mandragores sont des fleurs violettes.

Parenthèse : les mandragores
A titre d’information, voici ce que l’on trouve dans wikipedia sur les mandragores :
Par sa composition chimique, elle est notamment sédative et narcotique, antispasmodique, anti-inflammatoire (en cataplasme), hypnotique et hallucinogène. Elle présente des propriétés aphrodisiaques lui conférant une vertu fertilisante, et des propriétés sédatives dont Platon parle dans La République
Plus d’infos sur https://fr.wikipedia.org/wiki/Mandragore

 

Léa ne veut pas donner les fleurs pour rien. Elle échange les fleurs contre la possibilité d’accueillir Yaaqov dans sa tente. En effet, Yaaqov normalement était avec Ra’hel.
Lorsque Yaaqov rentre du champ le soir, Léa lui dit “c’est vers moi que tu viendras car j’ai payé [Sa’HoR] pour toi avec les mandragores”.
Juste après, Léa donnera naissance à un 5è fils YiSSa’HaR. La Torah explique que le nouveau né a été nommé  YiSSa’HaR, en référence au salaire que reçoit Léa, car elle avait donné sa servante à son époux.

Alors, un petit naît, on le nomme YiSSa’HaR (dont la racine étymologique est salaire, récompense), juste après que Léa ait accueillie Yaaqov en tant que salaire pour les fleurs échangées. Bien que les événements soient juxtaposés, la Torah ne fait pas le lien évident entre le nom de  YiSSa’HaR et les fleurs de Reuven. Pourquoi la Torah préfère-t-elle parler d’un autre salaire, celui de Léa qui a donné Zilpa sa servante à Yaaqov ?

Cette semaine j’ai posé la question à plusieurs personnes, ce qui suit, est la conséquence des propos échangés avec ces personnes.

Un proche, m’a envoyé l’explication du Rachbam qui précise que le nom YiSSa’HaR  fait référence aux 2 salaires de Léa : celui des mandragores et celui d’avoir donné la servante.

Nous avons donc une piste. Mais pourquoi la Torah préfère taire officiellement le salaire pour les fleurs ?
Pour comprendre le passage, il faut lire Rashi. Il nous explique que Léa souhaitait se rapprocher de Yaaqov uniquement dans un but sacré. Elle désirait et recherchait à multiplier les tribus, nous dit Rashi. Etre la mère d’une tribu de plus, être la mère d’une nouvelle partie du peuple d’Israel, c’est son objectif. Elle agit dans un but sacré, “Lechem Chamayim”.

Le comportement de Léa qui a acheté Yaaqov contre des fleurs est donc complètement louable. Léa n’a pas mal agi. Et le nom de YiSSa’HaR fait aussi référence aux fleurs échangées.
Pourtant, ce n’est pas parce que l’on agit dans un but sacré que tout est permis. Si la Torah avait dit que  YiSSa’HaR fait référence aux fleurs, cela peut être mal perçu. Ce n’est pas beau pour Yaaqov. Même si tout est louable, même si les intentions de tous les protagonistes sont sacrées, tout n’est pas permis.

Ce n’est pas parce l’on agit “pour le Ciel”, que l’on peut tout dire, sans se soucier de ce que pensera l’Autre. Je dois faire attention à la perception du message. Même si l’autre comprend mal, j’en suis responsable. Agir “pour le Ciel” ne me donne pas tous les droits, je dois me préoccuper de ce que pensera mon prochain. La Torah nous apprend donc ici que même si j’agis “pour le Ciel”, je ne peux pas tout dire, si cela peut être mal perçu.
En agissant “pour le Ciel”, je dois faire attention à ne blesser personne, c’est la seule garantie que j’agis vraiment dans un but sacré.

Chabbat Chalom
Stéphane Haim COHEN