Balaq 5781

 

"Il déclama sa parabole et il dit, Discours de Bilaam, fils de Beor, … Discours de celui qui entend les paroles de D.  et qui connaît la pensée de l’Etre Suprême"

(BAMIDBAR  24,15-16)

BALAQ, c'est le nom du roi de Moav qui avait décidé de s'en prendre aux Bné Israel, dans le désert. Cependant, il avait remarqué que la manière forte ne fonctionne pas, puisque les Bné Israel gagnaient leurs guerres de manière surnaturelle.
Balaq décide donc de demander de l'aide à Bilaam, qui est un prophète des nations, et qui va être chargé de maudire les Bné Israel.
Mais Bilaam échouera dans sa mission : il ne parviendra pas à maudire les Bné Israel, au contraire, il les bénira.

Au début de la la 7è montée de la paracha de la semaine, Bilaam introduit sa dernière tentative de maudire le peuple d’Israel en disant :
“Discours de celui qui entend les paroles de D.  et qui connaît la pensée de l’Etre Suprême..."
(BAMIDBAR  24,16)

La guemara Bera’hot 7a va se moquer de Bilaam : Il ne connaît pas ce que pense son âne, il ose croire qu’il connaît le “Daat Elion”, la pensée de D. !

En effet, au début de la paracha Bilaam frappe son ânesse parce qu’il ne comprend pas pourquoi elle ne veut plus avancer !

Mais en tout état de cause, Bilaam se vante de connaître les pensées de D.

La Torah attire donc notre attention ici sur un type de personne très dangereux : celui qui a tout compris, celui qui sait lire les événements que l’on vit, celui qui lit l’histoire et qui en déduit la pensée de D.

C’est celui qui va dire que le peuple juif a subi la Shoah parce que l’on parlait trop dans les synagogues. C’est celui qui va dire que le drame de Mérone s’est produit parce que les jupes des femmes sont trop courtes, ….

Nombreux sont ceux qui “comprennent” facilement le message de D. ! Mais la Torah nous montre que l’archétype de celui qui “connaît la pensée de D.”, c’est Bilaam, le mécréant.

La Torah n’aime pas celui qui ne va pas douter, et qui est persuadé de connaître le message divin.
Celui qui ne doute pas et qui est persuadé de connaître le message de D. va donc agir pour D. … et au bout du compte il pourra même tuer pour D., voler pour D. Tous les coups sont permis quand on connaît assurément la pensée de D. et que l’on agit pour lui.
Les croisades, l’inquisition, le terrorisme, les massacres …. tout est permis pour celui qui est persuadé d’agir au nom de D.

La Torah nous alerte et préfère donc le doute créateur aux certitudes castratrices.

La révolution scientifique, les lumières, n’ont pu émerger que par la sacralisation du doute. Descartes a bien expliqué que tout part du doute. Avec la certitude, je ne peux pas avancer. Avec la certitude, je reste idiot. Avec le doute, je tatonne, et j’ai peut être des chances de m’avancer lentement vers la vérité.

Tout notre judaïsme, toute l’étude de la Torah, c’est cela ! Le Talmud n’est pas un livre de lois, le Talmud, c’est un livre d’échange, où les désaccords sont nombreux. Le but n’est pas forcément d’arriver à la Loi, le but est de comprendre que l’on peut penser différemment de l’autre. Le Talmud vient ancrer dans l’homme le fait que je dois me remettre en question, et tenter de me mettre dans la tête de l’autre pour comprendre son mode de raisonnement.

Mais du Talmud je n’apprends pas seulement à douter pour grandir. J’apprends à apprendre des choses qui ne servent à rien. Est-ce vraiment utile d’apprendre comment se passait le service au Temple le jour de Kippour ? Est-ce vraiment utile de connaître la multitude de cas où le Yiboum (lévirat) est interdit ? Est-il vraiment utile d’étudier les lois du nazir, alors que de nos jours, on ne fait plus ce type de vœu ?
NON, ce n’est pas utile. Mais c’est pour cela qu’il faut les étudier. Le but est d’étudier de façon désintéressée. Pas besoin de devoir appliquer pour étudier. Il faut étudier uniquement pour étudier, c’est comme cela que l’on grandit.

C’est l’étude LICHMA. Le but n’est qu’intellectuel. C’est cela qui fait grandir l’homme. C’est cela qui fait grandir son esprit. Douter et Etudier, voici la clé. Et un beau jour, on réalise que l’on regarde le monde différemment. Tout est plus clair… on se rapproche de la vérité.

La Torah veut faire de nous de vrais scientifiques capables de comprendre le monde. Elle nous demande de Douter et d’Etudier sans but … uniquement pour étudier. Faire des constructions théoriques … uniquement pour faire grandir sa tête.

Cette semaine, j’ai écouté rapidement un diagnostic de l’évolution de l’éducation nationale en France par Philippe Nemo. Il explique que la décadence du système provient du fait qu’au Lycée on a quasiment fait disparaître l’enseignement “abstrait et désintéressé” (ce sont ses mots).

Etudier la Torah, c’est étudier l’abstrait et de façon désintéressée. Etudier la Torah ce n’est pas pour accumuler des connaissances. Le but n’est pas de créer un homme empli de savoirs, le but est de créer un homme plus grand, qui sera transformé par son savoir, et qui pourra comprendre le monde et se rapprocher de D.

Chabbat Chalom

Stephane Haim Cohen