Ki Tavo 5781

 « Tu te réjouiras avec tout le bien que t’a donné l’Eternel ton D., à ta maison, à toi, au Lévi, et au converti qui est parmi toi.»
(DEVARIM, 26,11)

Cette semaine, nous lisons la Paracha Ki Tavo. Cette longue paracha a une caractéristique tristement connue, elle comporte des bénédictions, mais aussi et surtout 98 malédictions terribles. Cela remet les idées en place avant le jugement à Roch Hachana. La paracha commence par le passage des prémices, les premiers fruits de l’année doivent être apportés au Temple.
A ce moment, on demande à celui qui apporte les fruits de se réjouir (verset en entête).
Ce que je vais vous présenter aujourd’hui est très largement inspiré d’un commentaire du Rav Yonathan Zacks zal, l’ancien grand rabbin d’Angleterre. Son texte existe en hébreu dans Sig VeSia’h, ainsi qu’en anglais à l’adresse :
https://rabbisacks.org/the-pursuit-of-joy-ki-tavo-5775/
Par ailleurs, en cliquant sur le lien ci-dessus, vous aurez aussi accès aux fichiers PDF de la version en hébreu et en espagnol.


Je vous invite vraiment à lire son texte, car je n’ai pas repris toutes ses idées, je n’ai peut être pas tout compris, et j’ai probablement ajouté des idées qui me sont propres.
Aristote a dit que le bonheur est le bien à quoi la plupart des hommes aspire. Dans la déclaration d’indépendance des Etats Unis d'Amérique, on dit :
We hold these truths to be self-evident, that all men are created equal, that they are endowed by their Creator with certain unalienable Rights, that among these are Life, Liberty and the pursuit of Happiness
Traduction :
Nous tenons pour évidentes par elles-mêmes les vérités suivantes : tous les hommes sont créés égaux ; ils sont dotés par le Créateur de certains droits inaliénables ; parmi ces droits se trouvent la vie, la liberté et la recherche du bonheur.
En clair, les hommes ont le droit au bonheur.


On trouve peu de fois la notion de bonheur dans la Torah. On a quelques psaumes qui commencent par ACHRé, l’adjectif heureux, qui découle du mot OCHeR que l’on peut traduire par bonheur.
Pourtant le bonheur n’est pas essentiel dans la Torah. La JOIE, SiM’Ha, quant à elle occupe une place prépondérante. Elle apparaît dans la Torah presque que 10 fois plus que le mot bonheur.
Le mot joie apparaît 12 fois dans le dernier livre de la Torah ! Le verset en entête constitue l’une de ses occurrences. Nous avons l’obligation de nous réjouir en apportant les prémices au Temple.
Dans notre paracha, le mot joie revient aussi au moment où l’on l’attend le moins.

En plein milieu des malédictions, on justifie les punitions en disant “Parce que tu n’auras pas servi l’Eternel ton D. avec JOIE…” (Devarim 28,47).
Dans le troisième livre de la Torah, Vayiqra, il y a aussi un passage de malédictions. Dans la paracha Be’houqotay, du livre de Vayiqra, on comprend que le peuple est puni car il a abandonné la voie de D. Pourtant, les malédictions se terminent par une note d’espoir.
En revanche, les malédictions de notre paracha se terminent dans l’obscurité et l’angoisse. Néanmoins, on ne semble reprocher au peuple qu’un simple détail … “Parce que tu n’auras pas servi l’Eternel ton D. avec JOIE…” (Devarim 28,47)


Pour comprendre ce qui se passe ici, nous devons expliquer la différence entre la joie et le bonheur.
Le premier Psaume commence par “Heureux l’homme qui n’a pas marché dans la voie des méchants….”
En fait, le bonheur a trait à l'individu. C’est d’ailleurs la raison pour laquelle on retrouve le droit au bonheur dans la déclaration d’indépendance des Etats Unis d'Amérique. De même qu’il existe un droit à la vie, un droit à la liberté, il existe un droit au bonheur.


En revanche, la joie dépasse le cadre de l’individu. La Torah demande au nouveau marié de réjouir sa femme, et donc de ne pas partir à la guerre lors de la première année du mariage (Devarim 24,5). Il faut se réjouir en apportant des offrandes à partager (Devarim 12,7). Pendant les fêtes de pèlerinages, il faut aussi se réjouir à Jérusalem, au Temple, sans oublier l’orphelin, la veuve, l’étranger (Devarim 16,11)
La joie naît lors de la rencontre de l’individu avec l’Autre. Le bonheur, c’est individuel. Le bonheur peut conduire à l’individualisme. La joie est là quand je me rapproche de l’Autre.
La Torah me pousse donc à rechercher la joie, mais pas forcément le bonheur.

L’autre différence entre le bonheur et la joie, c'est leur relation au temps.
Le bonheur est le résultat d’actions passées qui peuvent me rendre heureux aujourd’hui. La joie c’est le présent.
La recherche du bonheur, c’est investir aujourd’hui, pour atteindre le bonheur dans le futur. Mais les résultats ne sont pas assurés, cela dépend de la vie, du hasard, …
Rechercher la joie, c’est vivre le présent. C’est être pleinement conscient de mon présent. Si je pense mon présent, alors je peux décider d’être joyeux, tout simplement parce que je ne subis plus mon présent. Je suis maître de mon temps. Ce n’est plus mon inconscient, mon mauvais penchant qui décide pour moi. C’est moi qui décide pour moi.
Les malédictions de notre paracha sont si terribles, et terminent sans note d’espoir, car le peuple agit sans joie. Il ne vit pas son présent, il n’assume pas son présent. Alors forcément, tout est obscur, quand on n’assume pas le présent. Si on fuit le présent, la vie est remplie de malédictions.


Dans une dizaine de jours, nous vivrons Roch Hachana, le début de l’année. La guemara Roch Hachana 16a présente différentes façons de concevoir le jugement de l’homme. Rabbi Méir dit que tout est jugé à Roch Hachana, et que le jugement est scellé à Yom Kippour. … Rabbi Yossi dit que l’homme est jugé tous les jours. Rabbi Natan dit que l’homme est jugé à chaque instant, comme il est dit dans le livre de Job (7,18) “A chaque instant Tu nous examines”.
Ce jugement permanent est terrible, puisqu’il requiert de nous beaucoup d’efforts, une conscience permanente de mon présent. C’est l’objectif, si je suis pleinement conscient de mon présent, alors je ne faute plus. Concevoir le jugement à Roch Hachana, c’est déjà un bon début. Si je suis conscient, pendant 48:00 que mon jugement est en cours, je vais montrer le chemin pour le reste de l’année, je vais tenter de m’habituer à vivre avec le jugement permanent, à savoir penser mon présent.


Et au bout du compte je serai forcément un homme bien, puisque je pèse mes actions à chaque instant. Et je serai aussi un homme joyeux, puisque je vis mon présent.
Que D. apporte la guérison à toute l’humanité !

Chabbat Chalom

KETIVA VA’HATIMA TOVA


Stéphane Haim COHEN