Bo 5783 - Le poids des mots

“Tu raconteras à ton fils ce jour là en disant, c’est pour cela que D. a fait pour moi quand je suis sorti d’Egypte”
 (Chemot 13,8),

La paracha BO nous raconte les trois dernières plaies (les sauterelles, l’obscurité et la mort des premiers nés) ainsi, que la suite logique, la sortie d’Egypte.
C'est aussi dans cette paracha que les Bné Israel, en tant que peuple, reçoivent des commandements divins (Mitswot). Nous accepterons ainsi des lois qui ne dépendent pas de nous, des lois divines.

Le verset en entête nous demande de raconter à nos enfants la sortie d’Egypte. C’est l’obligation de dire la Hagada, d’expliquer la sortie d’Egypte. C’est ce que l’on fait le soir du Seder, chaque année, au début de la fête de Pessa’h.

Dans la hagada, nous lisons une michna que l’on trouve dans le dernier chapitre de la guemara Pessa’him (116a et b) :
Raban Gamliel dit : tout celui qui n’a pas dit ces 3 choses à Pessa’h, ne s’est pas acquitté de son obligation, et les voici, Pessa’h, Matsa, et Maror ….


A priori, les paroles de Rabban Gamliel font référence à la mitswa de raconter la sortie d’Egypte. Il vient nous dire que pour accomplir la mitswa, il faut dire / expliquer l’agneau pascal, la matsa, et les herbes amères.

Le Ran, Rabénou Nissim, précise que Rabban Gamliel explique la meilleure façon de faire la mitswa de raconter la sortie d’Egypte. Pour faire la mitswa, le plus parfaitement, il faut raconter, en expliquant Pessa’h, Matsa et
Maror. Mais, si on l’a pas fait, cela ne signifie pas que l’on n’a pas fait la mitswa.

Avant d’aller plus loin dans l’explication de cette michna, prenons un peu de recul. La Torah veut que nous racontions. La Torah veut que nous utilisions des mots pour intéresser les enfants, pour marquer les enfants, pour transmettre le flambeau. Même les juifs qui se disent éloignés fêtent Pessa’h. La transmission par les mots, c’est le ciment du peuple juif. La Torah nous demande de raconter pour perpétuer cette mémoire collective qui fait de nous un peuple. Le message est clair : nous avons souffert, nous avons été opprimés, mais D. nous a libérés. C’est un message d’espoir perpétuel, dont le peuple juif a eu besoin pour survivre, dans tous ses exils. Les mots dits chaque année à Pessa’h doivent me permettre d’ancrer l’espoir en nous, et aussi d’exprimer les souffrances endurées pour ne jamais devenir l'oppresseur. Nous avons été opprimés, nous avons été victime, la Torah veut nous aider à ne pas devenir bourreau.


Le Maharcha sur la michna comprend différemment les paroles de Rabban Gamliel. Pour le Maharcha, l’obligation de dire Pessa’h, Matsa et Maror, ne fait pas référence à la mitswa de dire la hagada. Le Maharcha explique que ces 3 mots / explications viennent compléter l’accomplissement de 3 autres mitswot : L’agneau pascal, manger la matsa, manger les herbes amères.

Pour le Maharcha pour accomplir au mieux ces 3 mitswot, manger ne suffit pas, il faut dire aussi. Il faut expliquer ce que l’on mange, pourquoi on le mange, pour accomplir au mieux cette mitswa.
Le Maharcha demande pourquoi ces commandements sont-ils spécifiques ? Pourquoi le faire doit-il être complété par le dire ?

Pour l’agneau Pascal, le Maharcha va chercher au début de la guemara Zeva’him. Tous les animaux qui ont été sacrifiés “lo lichman” en faisant une erreur mentale d’affectation (exemple penser à un sacrifice Ola au lieu de chelamim) sont cachers, à l’exception de l’agneau pascal et du korban ‘Hatate.
La pensée erronée sur le korban Pessa’h, rend ce sacrifice passoul. On ne peut plus que le brûler sans le consommer.

Le Maharcha explique la raison : lorsque quelque chose est loin de la sainteté, il faut faire un effort énorme pour le transformer. L’agneau pascal vient parce que D. a sauté au-dessus des maisons des Bné Israel. Il les a épargnés. Et pourtant les Bné Israel étaient idolâtres, ils étaient tombés bien bas en Egypte. L’impureté de l’idolâtrie était ancrée en eux. Et, ils ont pris un agneau symbole de l’idolâtrie des Egyptiens, et ils l’ont sacrifié. Le Maharcha explique que l’agneau pascal a symbolisé cette lutte contre l’idolâtrie. C’est donc forcément quelque chose qui doit être pensé et dit. Les mots que l’on met sur la mitswa vont permettre de soigner les maux de l’idolâtrie. C’est en ce sens que le korban Pessa’h est spécial. Il doit être pensé et dit pour jouer son rôle.

Le Maharcha explique que pour le Maror, les herbes amères, il faut dire aussi ! En effet, il faut se souvenir que nous étions esclaves. Et le Maharcha explique que se souvenir, à l’instar d’autres commandement, cela se fait en parlant. Il faut se souvenir que D. nous a éloignés de l’impureté et des souffrances de l’Egypte pour nous rapprocher de Lui.

Le Maharcha explique que l'obligation de manger de la Matsa est aussi juxtaposée à la nécessité de se souvenir. Se souvenir du mauvais, les souffrances symbolisées par le levain, et se rappeler que D. nous a sauvés.

Le Maharcha vient donc éclairer sous un nouveau jour les paroles de Rabban Gamliel. Certains commandements à appliquer doivent aussi être dits. Ces mitswot me permettent de m’en sortir si je les explique, si je les accomplis sans oublier de les dire.

L’Egypte est un traumatisme profond, c’est peut-être ce que veut nous faire entendre le Maharcha en parlant d’impureté. C’est un traumatisme qui risque d’être refoulé et de faire des dégâts. Alors si je veux m’en sortir, faire ne suffit pas. Dire, pour compléter le faire, permettra de se remettre.

En fait, le Maharcha nous donne peut-être des principes de psychologie. Pour dépasser un traumatisme, il faut FAIRE (c’est l’équivalent de l’accomplissement de la mitswa). Pour dépasser le traumatisme, on ne peut pas rester assis et se morfondre, il faut agir, remettre la machine en route. Mais cela ne suffit pas, je peux faire mieux, il faut DIRE. Les mots soignent les MAUX intérieurs.
Merci le Maharcha ! Rabbi Shmouel Eidels (1555-1631) !

Petit cadeau qu’un proche m’a fait il y a quelques semaines…  voici une musique que j’ai écoutée en écrivant ce commentaire !
https://www.youtube.com/watch?v=Xj0WGYqExkg

Chabbat Chalom.
Stéphane Haim COHEN
www.limud.net