Beaalote'ha 5783

"Et  la populace [assafsouf] qui était parmi eux a entretenu un désir. Ils retournèrent et pleurèrent, et les bné Israel aussi et dirent : qui va nous donner de la viande ? Nous nous souvenons du poisson que nous mangions en Egypte, …."
(Bamidbar 11, 4-5)


La paracha de la semaine commence par la présentation de la mitswa confiée à Aaron : l’allumage de la Menora, le chandelier à sept branches.
Puis, la paracha expose les lois de Pessa’h Cheni (le rattrapage de pessa’h), certains déplacements des Bné Israel dans le désert orchestrés par les colonnes de nuées le jour, et de feu la nuit. Ensuite, nous assistons à une révolte d’une partie du peuple, qui demande de la viande à manger. Le dernier sujet est celui de la Médisance de Myriam, sur son frère Moshé. Elle sera punie par une mise en quarantaine de 7 jours.

Le passage qui commence avec le verset en entête suscite beaucoup d’interrogations :

  • Comment les bné Israel peuvent-ils se révolter pour avoir de la viande ?
  • Est-il si triste de vivre sans viande au point de se mettre à pleurer (verset en entête) ?
  • Comment peut on regretter l’Egypte, le pays de l’esclavage, et le faire passer pour l’hôtel en pension complète ?
  • Pourquoi la punition divine a-t-elle été si dure ?
  • Pourquoi la Torah a-t-elle besoin de commencer le passage en mettant la faute sur le dos du assafsouf = ceux qui se sont collés au bné Israel à la sortie d’Egypte ? Bien évidemment, c’est vrai, tout est parti du assafsouf, mais si je veux faire progresser les Bné Israel, est-ce bien pédagogique d’introduire le passage par c’est la faute des autres peuples qui nous ont contaminés ?

Pour tenter de répondre à ces questions il faut rappeler d’abord que les Bné Israel étaient bien nourris dans le désert. La manne, la nourriture céleste, tombait du ciel chaque jour. En théorie, ils n’avaient donc pas besoin de viande !

Mais le peuple pleure. Le peuple ne triche pas, le peuple souffre du manque de viande. Tous ces révoltés souffrent, même Assaf souffre ! Alors on pleure. On ne se sent pas bien. Le peuple ne veut plus de la nourriture céleste. C’est trop dur de manger de la manne… Car la manne, c’est la nourriture qui vient directement de D. C’est le cadeau du ciel.

Le peuple ne veut plus être redevable vis-à-vis de D. Il veut couper les ponts. C’est tellement vrai que le peuple regrette l’Egypte, le temps de la souffrance… mais au moins on n’y ressentait pas la dépendance vis à vis de D.

On comprend maintenant pourquoi la punition divine est si terrible. Les révoltés doivent mourir, car ils refusent le cadeau divin. Tout se passe comme si le papa fait un cadeau à son fils. Et non seulement le fils ne dit pas merci, mais en plus il crache sur le cadeau.

L’homme se sent diminué quand il est redevable. L’orgueil en prend un coup. Les révoltés ne veulent pas se rabaisser à dire merci.

Aujourd’hui le Rav a rapporté une histoire :
Rav Ra’hamim Naouri a raconté que son Rav était très riche. Un jour, l’homme le plus riche de la ville vint voir le rav. Traditionnellement, cet homme, étant très riche, ne faisait jamais partie de ceux qui demandent. Mais, cette fois, l’homme traversait une période difficile, il avait besoin d’emprunter de l’argent au Rav. Bien évidemment, le Rav lui prêta la somme importante. Mais ce n’est pas tout, le Rav demanda à l’emprunteur : maintenant que je t’ai prêté ce que tu voulais, donne moi une gifle ! L’homme demanda : pourquoi ? Le Rav répondit, maintenant que tu m’es redevable, tu vas forcément me détester, alors donne moi d’ores et déjà la gifle ….

La nature humaine fait que l’on n’aime pas devoir à quelqu’un. L’histoire de la décolonisation reproduit souvent au niveau “macro” ce que l’on peut constater au niveau “micro”. L’ancienne colonie déteste la métropole, car l’ancienne colonie ne peut pas reconnaître que malgré tous les excès, le colonisateur a aussi aidé le colonisé.
[Le but n’est pas d’excuser les crimes qui peuvent avoir été commis par les colonisateurs, mais juste de comprendre l’intense haine qui parfois existe entre les nations].

La Torah ne supporte pas l’ingratitude. Ces révoltés remettent en cause un des fondements du Judaïsme : il faut être reconnaissant, c’est inscrit dans notre nom Juif = YeHouDi, c’est la même racine que reconnaître, accepter.
Le Juif doit savoir dire merci. Le juif doit savoir s’abaisser pour dire merci. C’est la raison pour laquelle le passage commence par nous parler du assafsouf. Ce n’est pas pour mettre la faute sur les autres et se dédouaner. C’est juste pour nous dire que l’ingratitude est un comportement indigne de notre peuple. Les Bné Israel n’ont pas à s’exclure du peuple en étant ingrats. Les Bné Israel n’ont pas à devenir “la populace”.


Chabbat Chalom


Stéphane Haim COHEN

www.limud.net

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Nasso  (déjà envoyé en 5778)

" …Et il [le Cohen] fera expiation pour lui [le nazir] de ce qu’il a fauté …"
(Bamidbar 6, 11).

La paracha Nasso présente de nombreux sujets :
    • Le compte des Léviim
    • Le traitement des personnes impures (Zav ou tsaraat)
    • Ce que l’on doit faire si quelqu’un a commis un détournement en profitant d’un objet consacré au service divin
    • La femme sota qui est soupçonnée car elle s’est isolée avec un autre homme que son mari
    • Le nazir, celui qui fait un certain vœu pour se rapprocher de son Créateur
    • La bénédiction de Cohanim
    • L’inauguration du Michkan (Temple du désert), et les princes des tribus qui apportent pendant 12 jours 12 offrandes identiques.

Le nazir fait le vœu, pendant une certaine période, de ne pas consommer de produits de la vigne, de ne pas se couper les cheveux, et de ne pas s’impurifier au contact d’un mort.

Comment apprécier l’attitude du Nazir ? Est-ce positif d’être plus royaliste que le Roi, en faisant plus que ce que la Torah me demande ?

La guemara Nazir nous présente 2 possibilités de considérer le comportement du Nazir.

A la page 19a de la guemara Nazir, Rabbi Eleazar Hakapar nous dit que le Nazir est un fauteur. En effet, comme le dit le verset en entête " …Et il [le Cohen] fera expiation pour lui [le nazir] de ce qu’il a fauté …". Et même si ce verset parle du nazir qui s’est impurifié, la guemara nous explique que la faute concerne même le nazir qui n’est pas devenu impur.
Le nazir normal, qui arrive normalement au terme de son vœu, a fauté : il s’est mortifié en se privant du produit de la vigne !

Rabbi Eleazar n’est pas d’accord avec Rabbi Eleazar Hakapar. Ainsi dans la Guemara Taanit à la page 11a, Rabbi Eleazar nous dit que le Nazir est « saint ». Le verset en entête ne parle selon lui que du nazir qui a fauté.

Par ailleurs, la guemara Nedarim 9a considère que le nézirat peut être le vœu d’un juste aussi bien que le vœu d’un mécréant. Le Ran explique que tout dépend des intentions de celui qui professe le vœu.
L’histoire du nazir de Chim’one Hatsadiq (Nazir 4b) est l’archétype du Nazir Juste, qui se prive pour se parfaire et se rapprocher du Créateur.

Ainsi, dans la Guemara Nazir 4b, on raconte :
Chim’on Hatsadik, le Cohen Gadol, qui vivait au début du 2è Temple, était l’un des derniers membres de la Grande Assemblée. Autant dire, que c’était un Cohen Gadol, un Grand Prêtre réputé pour sa grande piété.
Il nous dit : « De toute ma vie, à une exception près, je n’ai jamais mangé du sacrifice Acham qu’apporte le nazir qui s’est impurifié. Ainsi, une fois, un homme venant du Sud s’est présenté à moi. Il était particulièrement beau, et ses cheveux avec des boucles étaient sublimes.
Je lui ai dit : « Mon fils pourquoi as-tu décidé de te couper les cheveux ? » [Chim’on Hatsadiq demande pourquoi as-tu décidé de devenir nazir alors qu’à la fin de la période tu devras couper tes si beaux cheveux ?]
L’homme répondit : « Je suis berger, et j’ai dû aller chercher de l’eau à la source. A ce moment je me suis vu dans le reflet de l’eau et je me suis trouvé beau. Mon mauvais penchant a voulu alors prendre le dessus sur moi… Je lui ai alors dit … De quoi tu t’enorgueillis dans un monde qui n’est même pas le tien, au bout du compte tu ne seras que de la nourriture pour les vers de terre !
J’ai alors pris sur moi de devenir nazir, et de me couper les cheveux en faisant une mitswa. »

Chim’one Hatsadiq, lui embrassa la tête : « Que les nazir comme toi se multiplie en Israel ».

Et cette fois ci uniquement il mangea de l’offrande du nazir.

Le Rambam (Hala’hot Neziroute 10,14) explique que celui qui dit « Je serai Nazir, si je fais tel ou tel acte … » est un mécréant. C’est une personne qui veut épater la galerie et donner du poids à ses paroles !

D’ailleurs, le Rambam au 4è chapitre de son introduction au Traité Avot (Maxime des pères) explique que l’homme doit avoir un comportement mesuré, équilibré … atteindre le juste milieu. Et dans le but d’atteindre l’équilibre, certains justes se privent des plaisirs matériels.
Le Rambam précise que ceux qui copient bêtement ceux qui se privent … ont un comportement maladif. Ce n’est pas cela la voie de la Torah.
Et le Rambam de continuer en citant la Guemara Nazir 19a : Si déjà celui qui s’est privé du vin alors que la Torah autorise d’être Nazir, est coupable (verset en entête), celui qui se mortifie bêtement en se privant des bienfaits de ce monde ci est évidemment encore plus coupable !
Bien évidemment tout est une question de mesure et d’objectifs : le matériel n’est qu’un moyen pour me permettre de bien faire fonctionner mon cerveau et de tenter de découvrir D.


CHABBAT CHALOM

Stéphane Haim COHEN