Ki Tavo 5782

 « Tu te réjouiras avec tout le bien que t’a donné l’Eternel ton D., à ta maison, à toi, au Lévi, et au converti qui est parmi toi.»
(DEVARIM, 26,11)


Cette semaine, nous lisons la Paracha Ki Tavo. Nous avançons dans le mois d’Eloul et nous nous rapprochons de Roch Hachana.
Cette longue paracha comporte des bénédictions, mais aussi et surtout 98 malédictions terribles. Cela remet les idées en place avant le jugement à Roch Hachana. La paracha commence par le passage des prémices, les premiers fruits de l’année doivent être apportés au Temple.

A ce moment, on demande à celui qui apporte les fruits de se réjouir (verset en entête). Il récitera aussi un passage dans lequel il racontera l’histoire du peuple juif en résumé. On y évoque les souffrances à l’origine : survivre en Egypte. Souffrir au quotidien en tant qu’esclave. Puis, c’est la délivrance, l’arrivée en terre promise. Enfin, le pèlerin dit : “Et maintenant, voici, j’ai apporté les prémices de la terre que D. m’a donnés…” Devarim 26,10.

Pourquoi un tel cérémonial ? Offrir les premiers fruits, c’est bien. Mais pourquoi en plus raconter le passé et dire le présent ?

Encore une fois, j’espère que je ne dirai pas de bêtises, et bien évidemment, je suis preneur de vos remarques / réactions.

On peut comparer l’histoire de notre peuple à la vie d’un homme dont l’enfance a été difficile. Le peuple a souffert, quand il était enfant, en Egypte. Sa jeunesse a été terrible. Les Bné Israel ont été victimes de toutes les exactions possibles de la part de leurs bourreaux en Egypte.
Quand on est victime enfant, il est facile de grandir et de rater sa vie. Celui qui va ruminer toute sa vie les traumatismes subis en tant qu’enfant, va probablement passer à côté du bonheur.

“Mes parents étaient de mauvais parents, ils ont toujours préféré mon petit frère….”
“Mon professeur m’a fait honte devant tous mes camarades”.
“Mes camarades se moquaient de mon acné”. … Les exemples sont infinis. J’ai pris des exemples légers, mais il existe aussi des problèmes plus lourds, des atteintes à la pudeur, des disparitions, …

Facilement, on peut passer une vie conditionnée par des événements passés. Ainsi, on trouvera toujours la cause du malheur présent : l’autre a été méchant (cela peut être vrai objectivement). Mais dois-je accepter de pourrir mon présent, parce qu’un autre m’a fait du mal ? Si M. X a souffert dans sa jeunesse, doit-il continuer à souffrir adulte ?

On peut même faire pire qu’abîmer sa propre vie, on peut aussi pourrir celle des autres. La victime peut même facilement devenir bourreau. Et le cercle infernal continue…

M. X. a été orphelin de père très jeune, il a beaucoup souffert enfant. Il n’a pas eu de modèle de père. Sans efforts, il ne sera probablement pas le père ou le mari modèle. Il ne saura peut-être pas montrer l’affection nécessaire à son entourage.

Les tribunaux sont remplis de criminels ou de délinquants aux circonstances atténuantes : ce sont des victimes qui sont devenues bourreaux.

Alors que faire ? Comment dépasser les traumatismes ?

La Torah me montre la voie. Notre peuple a souffert en Egypte. Les Bné Israel auraient pu facilement passer du statut de victimes en Egypte, à celui de bourreaux.

La Torah nous demande donc d’apporter les prémices et de raconter notre passé. Raconter c’est déjà se soigner, c’est extérioriser le mal qui pourrait ronger. Il faut avoir conscience de nos souffrances passées, et il faut les raconter.

Mais ce n’est pas tout. Le pèlerin enchaîne, et vit le présent : “Et maintenant, voici, j’ai apporté les prémices de la terre que D. m’a donnés…” Devarim 26,10. On nous demande de donner. Après avoir raconté le passé, on prend conscience qu’il faut donner au présent.

Celui qui se lamente sur son passé, ou sur les autres perd son présent. Il exige des autres qu’ils se corrigent, qu’ils réparent… Celui qui fait des reproches aux autres est quelqu’un qui prend. La Torah veut notre évolution. Pour avancer dans la thérapie, il faut DONNER. Il ne faut plus attendre quelque chose de l’autre. Il faut plutôt DONNER à l’autre.

En racontant mon passé, je transforme la faiblesse en force. Je sais d’où je viens, j’ai conscience que j’ai beaucoup avancé. J’ai beaucoup progressé à tel point que je sais DONNER, je vis le présent. Je peux donc me réjouir, comme le précise le verset en entête: “et tu te réjouiras…” Mais ce n’est pas un ordre. Cette joie est simplement le résultat d’une vie pleine, et d’une façon d’appréhender le monde.

A l’orée des fêtes de Tichri, moment où l’on doit apprendre à se remettre en question, voici donc un axe de développement. Peut-être pourrions nous classer toutes nos actions sur l’axe prendre-donner… et petit à petit aller un petit peu plus vers le don.

Chabbat Chalom
Stéphane Haim COHEN