Michpatim 5783 - La loi du nombre

“... D’après la majorité faire pencher (le jugement).”
 (Chemot 23,2)

La Paracha Michpatim présente essentiellement des mitswot « sociales » qui régissent les relations entre l’homme et son prochain. Au début de la paracha, on réglemente les relations entre le maître et l’esclave.
Rappelons que la Torah considère l’esclavage comme une situation a posteriori, non souhaitée, mais qu’il faut gérer. Ainsi, la Torah a changé le monde en disant que celui qui tue son esclave aura la peine de mort. L’esclave n’est plus une marchandise. Il redevient homme.

De la même façon que les 10 paroles (les 10 commandements, dans la Paracha précédente, YITRO) proviennent du Mont Sinaï, le lieu de La Révélation, les lois sociales sont aussi issues du Mont Sinaï (Rashi).
Rashi veut nous faire comprendre l’importance des lois sociales : c’est en les respectant que je retrouverai la Torah telle qu’elle a été donnée au Sinaï. C’est en me souciant de mon rapport à l’Autre, et non pas en m’isolant ou en ne pensant qu’à moi, que je peux découvrir et me rapprocher de la Source de la Vérité.

Le verset en entête a fait couler beaucoup d’encre… On utilise ce verset pour fixer le sort des mélanges entre éléments permis et interdits.

Grâce à ce verset on apprend aussi que dans un tribunal, on décide à la majorité. Voici quelques idées rapportées du Torah Temima sur ce verset.

S’il faut une majorité dans un tribunal, alors c’est forcément que le nombre de juges est un nombre impair. Le tribunal doit pouvoir trancher. C’est ce qu’apprend Rabbi Eliezer fils de Rabbi Yossi Hagalili à partir de ce verset (Guemara Sanhédrine 3b).

Nos maîtres apprennent aussi que dans les tribunaux qui jugent des peines de mort (diné nefachot, 23 juges), pour condamner il faut une majorité d’au moins deux personnes. 12 juges face à 11 ne suffisent pas pour condamner.
En revanche pour sauver, 12 juges suffisent contre 11.

Le Torah Temima se positionne aussi sur la force de la majorité. Pour trancher, une loi, fait-on confiance au nombre (la majorité) alors que la minorité est plus sage, plus instruite, plus qualifiée ? Adopte-t-on la loi de la majorité uniquement lorsque tous les juges sont aussi compétents les uns que les autres ?

Les Richonim divergent sur ce sujet. De son côté, le Torah Temima apporte des preuves pour dire que c’est le nombre qui gagne, quel que soit le rapport de force intellectuel.
Il rapporte les paroles du Rambam dans l’introduction du Michné Torah : D. a vu qu’il y avait des divergences parmi ceux qui étudient la Torah, et que la loi ne ressortait pas clairement. C’est pourquoi, D. a décrété : “... d’après la majorité, faire pencher (le jugement).” La majorité définit la vérité.  

Le Torah Temima enchaîne, si nous faisons intervenir les compétences intellectuelles, alors la loi ne sera jamais claire, et on ne pourra pas toujours trancher. C’est donc évident que la majorité est une majorité du nombre, et non pas une minorité pondérée par d’éventuelles qualités intellectuelles.

Ces derniers temps, avec les manifestations en France, et en Israel, je me suis posé beaucoup de questions sur le concept de majorité et de démocratie. Peut-on faire toujours confiance à la majorité ? Si la majorité est pourrie, dois-je me taire ? Mais où est la limite ? Est-ce moi qui suis tordu en pensant que la majorité est viciée ?
La minorité qui hurle est-elle forcément illégitime car elle n’est qu’une minorité?
 

La Torah elle-même, au même verset, me dit : “Tu n’iras pas après la majorité pour faire le mal”. Rashi explique : Si les méchants pervertissent la justice, ne dis pas, puisqu’ils sont nombreux, je vais suivre leurs opinions.
La démocratie, c’est le pouvoir au peuple, c’est la loi du nombre… Mais si le peuple se trompe… A partir de quand faut-il désobéir ? Pas de réponse … si ce n’est que peut-être l’étude de la Torah aiguise notre esprit critique, et nous force à refuser les idées reçues. D. nous a donné un cerveau, il faut s’en servir !

Chabbat Chalom.
Stéphane Haim COHEN
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