« Peut-être y-a-t-il 50 justes ? … Le juge de toute la terre ne ferait-il pas la justice ? » Berechit (18, 24-25)
« …Alors que je suis poussière et cendre ». Berechit (18, 27)
VAYERA est La Paracha qui nous raconte plusieurs moments clés de la vie d’Avraham :
- La visite des anges qui viennent annoncer que Sarah aura un fils
- La négociation avec D. pour sauver les villes de Sodome et Gomorrhe
- Le sauvetage de Loth et la destruction de Sodome et Gomorrhe
- La rencontre avec Avimele’h
- Sarah qui enfante Yts’haq, la brith mila de Yts’haq
- Avraham qui doit renvoyer Ychmael
- L’ultime épreuve : la ligature de Yts’haq.
Les versets en entêtes sont extraits de l'intervention d'Avraham auprès de D. pour tenter d'épargner les villes de Sodome et Gomorrhe.
Un ami, avec j'étudie régulièrement, m'a fait remarquer le changement de ton dans le discours d'Avraham.
Au début, Avraham semble remonté. Il ne supporte pas l'injustice qui pourrait exister. Il dit donc : Le juge de toute la terre ne ferait-il pas la justice ? » Berechit (18, 25).
Il implore D., peut-être qu'il y 50 justes dans ces villes, et dans un tel cas, ce serait une injustice terrible que de tout raser. Le langage d'Avraham est vindicatif.
D. répond qu'il n'y a pas 50 justes.
Avraham va continuer à négocier, mais le ton change du tout au tout. Avraham, avant d'intervenir, précise « …Alors que je suis poussière et cendre ».Berechit (18, 27)
Pourquoi un tel changement de langage ?
L'attitude d'Avraham au début de son intervention, qui ne l'a pas eu un jour ? Qui ne s'est pas interrogé sur la Justice divine ? Comment est-il possible de voir des innocents qui souffrent ?
Mais cette attitude est toute à l'honneur d'Avraham. Si le monde semble injuste, alors il faut se révolter. Il faut agir !
Après 120 ans, on nous demandera « Tsipita li yechoua » as-tu espéré (et agi pour hâter) la délivrance ?
Celui qui ne se révolte pas, n'a pas d'espoir. Celui qui ne se révolte pas est un égoïste. D'autres souffrent, ce n'est pas grave ! C'est la vie ! C'est comme cela, il n'y a rien à faire !
Et bien non ! Avraham nous apprend que l'on peut changer le monde (il faut d'abord commencer par soi!). On peut et on doit agir pour améliorer les choses, pour s'approcher de la délivrance.
Toutefois, même si l'on doit agir, nous devons avoir conscience que nous ne sommes pas le centre du monde. Si je ne comprends pas un événement, si je le trouve injuste, est-ce pour autant que c'est injuste aux « yeux de D. ». C'est très présomptueux de croire que je puisse arriver à tout comprendre.
Se révolter, cela signifie aussi que Je ne comprends pas les événements. Cela signifie qu'à mes yeux c'est injuste… c'est donc moi qui est l'étalon pour ce qui est juste et ce qui n'est pas juste.
Et là, je me place au centre du monde : c'est une erreur.
Après l'attitude vindicative d'Avraham, et après la première réponse de D., Avraham change de ton. Il a compris l'ambiguïté d'une telle attitude. Toute suite, il va nous faire comprendre, qu'il se révolte, mais que ce n'est pas à cause d'un ego sur-dimensionné.
Il dit « …Alors que je suis poussière et cendre ».Berechit (18, 27). Il a conscience, qu'il ne peut pas tout comprendre. Il a conscience qu'il ne pourra pas comprendre ce qui pourrait être à ses yeux des injustices.
Comme me l'a dit un proche. Si l'on regarde un tableau de maître avec un microscope, on risque vite de voir des acariens ! Des monstres terribles, quand on les voit au microscope ! Et forcément, c'est laid,… c'est très laid !
Mais si on prend du recul, alors le tableau retrouve son harmonie, son unité, et là je peux l'admirer.
Les injustices du monde, on ne pourra jamais les comprendre avec nos yeux. Je dois donc accepter qu'il existe des choses qui me dépassent et que je ne pourrai pas comprendre. Je dois rester modeste. Mais cela ne m'exonère pas pour autant d'agir contre ce qui est une injustice à mes yeux.
C'est pourquoi, Avraham, après avoir dit « …Alors que je suis poussière et cendre ».Berechit (18, 27), va continuer à intercéder auprès de D.
Peut-être y a t il 45 justes, 40, 30, 20, 10 justes ?
Chabbat Chalom
Stéphane Haim COHEN